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Romans politiques et sociaux

Dernière mise à jour : il y a 2 jours

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Le mage du Kremlin, dans la peau d'un Raspoutine moderne

Best sellers, une comparaison osée

La compromission, énervée

Sidérations, inspiré

Égalité, oublié

Apeirogon, mosaïque

Bel abîme, troublant

Paradis, géographique



Le mage du Kremlin, dans la peau d'un Raspoutine moderne


Entre réalité et fiction, l’auteur retrace la carrière de Wladimir Poutine à travers le regard de son spin-doctor. Il tente de faire partager les frustrations du peuple russe confronté aux excès de l’adoption trop rapide d’une économie de marché après la chute du mur, aux humiliations répétées infligées par un occident se sentant tout puissant et surtout inconscient, à l’exception de quelques experts, de la gravité de ces blessures. Car l’ascension et le maintien du Tsar au pouvoir surfe sur deux vagues : une perte de repères liée à une évolution débridée des moeurs et des usages, des hiérarchies et des modèles, et la nostalgie d’un ordre prévisible, à défaut d’être stimulant. Des jeunes gens intelligents, bons ingénieurs et virtuoses sur un échiquier, formés à l’école soviétique, ont soudain trouvé des opportunités à la hauteur de leur potentiel. En rachetant les entreprises d’état et en les faisant fructifier, quelle que soit la méthode, ils deviennent ces fameux oligarques crains et haïs de la société qui les a vus naître.


Un excès en a entraîné un autre, par réaction. Logiquement, un soubresaut inverse pourrait se profiler à l’horizon, et ainsi de suite, jusqu’à l’hystérésis. Mais ne sommes-nous pas déjà arrivés à ce stade ultime, coïncidant avec la démission du spin-doctor, héros et co-narrateur de ce livre ? Sans dévoiler la fin de l’histoire, construite comme une succession de ponts entre des évènements bien connus du public comme le discours d’un Eltsine éméché aux côtés de Bill Clinton, la répression en Tchétchénie ou l’annexion de la Crimée, elle n’a pas vocation à se finir sur une note optimiste. Quelques phrases rencontrées peu avant la moitié du livre résument bien la situation : « L’oeil humain est fait pour survivre dans la forêt. C’est pour cette raison qu’il est sensible au mouvement. N’importe quelle chose qu bouge, même à la périphérie la plus extrême de notre regard, l’oeil la capte et transporte l’information au cerveau. En revanche, tu sais ce que l’on ne voit pas ? … Ce qui reste immobile … Au milieu de tous les changement, nous ne sommes pas entraînés à distinguer les choses qui restent les mêmes. Et c’est un grand problème parce que, quand on y pense, les choses qui ne changent pas sont presque toujours les plus importantes ».


Références : lu dans l'édition de novembre 2022 (Gallimard)



Best sellers, une comparaison osée


Une fois n'est pas coutume, ce billet évoque non pas un mais deux livres lus. L'idée est de traiter simultanément anéantir de Michel Houellebecq et Et que ne durent que les moments doux de Virginie Grimaldi. Pourquoi ? Parce que ces deux livres se vendent par brassées tout en étant radicalement différents l'un de l'autre, phénomène propre à déclencher l'envie d'en comprendre les causes. Le premier est écrit dans un style clinique, en surplomb, privilégiant le point de vue d'un certain Paul, haut fonctionnaire de son état. Le deuxième est tout en émotion, émaillé de traits d'humour bienveillants, centré sur deux héroïnes dont il faut peu dévoiler ici sous peine de divulgâcher la chute.


Une façade 18ème siècle baignée de lumière, avec des feuilles oranges d'automne
Ombre et lumière

Le premier est désabusé, blasé, fatigué de ce monde, tandis que le deuxième le fait chanter (ce monde). L'un s'adresse à une catégorie de dépressifs heureux de rencontrer une âme soeur capable de partager leurs peines, l'autre à d'autres dépressifs désireux(ses) de se battre et de remonter la pente. Somme toute, tout le monde y trouve sa façon de supporter son quotidien blafard à sa façon.




Les liens artificiels, visionnaire


Finaliste du prix Goncourt 2022, il a chuté dans la dernière ligne droite. Comme son héros, dont le destin est dévoilé dès les premières pages. Mais pendant tout le flash-back que constitue le roman, l'envie qu'il s'en sorte domine. Seules les dernières pages permettront de trancher vraiment. Ce livre-ci est résolument nouveau, comme l'ont voulu les créateurs du prix. Les jurés se sont d'ailleurs bien étripés, loin de la magnifique unanimité de 2021, même si Les liens artificiels avait déjà été éliminé avant le tout dernier carré. A-t-il fait l'objet d'un âpre débat ? Ce serait juste. Comme La plus secrète mémoire des hommes, ce texte est totalement novateur, inspiré, brillant, instructif. Il offre en plus une certaine facilité de lecture et en fait un objet accessible à tous.


Référence : lu dans l'édition d'août 2022 (Albin Michel)



La compromission, énervée


Ce roman est un véritable exutoire. Il est écrit par le rédacteur en chef d'une revue financière institutionnelle, dont la plume de journaliste est d'ordinaire mesurée, sérieuse et technique. Quoique. Il arrive qu'entre deux lignes les pulsions de l'écrivain provoquent de petits soubresauts qui pour un oeil attentif trahissent le créatif. La couverture du livre est rouge sang, cohérente avec l'univers sauvage décrit par l'auteur.


Des tables et chaises rouges à la terrasse d'un café. Un couple lit.
Rouge

Dans un futur proche, l'écart s'est encore creusé entre élites et laissés pour compte, matérialisé par des murs protégeant Paris intra-muros de la jungle. Les privilégiés tentent parfois des sorties pour casser la routine, faire couler leur adrénaline et s'en vanter le lendemain au bureau. Le style est incroyablement rythmé, de la première à la dernière page, sans laisser un seul instant au lecteur ou à la lectrice pour souffler. Tout y passe, la médiocrité de notre temps, l'hypocrisie des uns et la folie des autres. Seul un personnage de journaliste semble sauver notre avenir de la disparition totale de toute humanité dans les rapports entre bipèdes. À l'autre bout du spectre, le personnage du consultant est un cynique allergique aux sentiments, en particulier à la compassion considérée comme une fatale faiblesse.


Référence : lu dans l'édition d'août 2021 (Denoël)



Sidérations, inspiré


L'auteur explique clairement sa démarche dans un document vidéo de 15 minutes. En réaction à un gouvernement ennemi des intellectuels, un scientifique se dresse pour dénoncer et annoncer. Plus exactement, son fils se fait son interprète grâce à une infirmité transformée en talent. Cette mutation est rendue possible par les derniers progrès réalisés en intelligence artificielle dans un avenir proche. Alors que le danger écologique devient de plus en plus palpable, une véritable guerre civile sévit aux Etats-Unis entre progressistes et conservateurs. L'inflexibilité croissante de chaque camp ne fait que stimuler le radicalisme de l'adversaire.


Richard Powers a le sens de la formule. Il compare les sociétés humaines à un "système de Ponzi" et considère qu'il y a "deux sortes de gens : ceux qui sont capables de faire les calculs et de croire la science, et ceux qui préfèrent leurs propres vérités". Il ne semble pas y avoir de place pour les compromis ou les demi-mesures dans cette vision de notre évolution.




Un jour viendra couleur d'orange, personae


L'auteur classe son roman dans la catégorie romantique. Mais s'il raconte bel et bien une histoire d'amour dont on espère qu'elle triomphera de toutes les vicissitudes de la France de notre époque, il fait aussi vivre une collection de personnages rendant compte de la diversité des milieux et des visions de notre société, caractéristique de la population d'un pays développé en butte à une profonde crise politique, culturelle et sociale. La romance vécue par les deux héros du livre est déclenchée par un besoin de se rapprocher pour se protéger mutuellement. Elle est la conséquence naturelle de leur commune résistance aux violences de leur temps, à une même incompréhension des soi-disant logiques de groupes ethniques, sociaux ou professionnels dont les leaders se substituent aux élus (lesquels sont devenus impuissants et dépourvus de vision à force de pragmatisme), adoptant des postures agressives nourries par leurs situations précaires, brandissant des arguments grandiloquents reposant sur les syllogismes les plus naïfs.




Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, touchant


Ouaouh, quel bouquin ! Le début est un brin énigmatique, puis la personnalité de la narratrice envahit l'imagination du lecteur jusqu'à la passion. Le développement de la trame suit une logique de suspense croissant, propre à décourager les paresseux qui risquent de lâcher le livre avant la centième page et à fidéliser les courageux, largement récompensés de leur persévérance bien avant le dénouement (lequel intervient au delà de la 700ème page). Il ne s'agit pas seulement d'un roman captivant : l'histoire se déroule pendant la grande dépression dans le sud des États-Unis et brosse avec brio un tableau vivant des tensions et des contradictions d'une société en transition.




Égalité, oublié


Ce livre au style daté a été écrit un an avant l'accession du Front Populaire au pouvoir en France. Il tente un parallèle voire un rapprochement entre deux familles politiques a priori irréconciliables, des aristocrates liés aux familles décimées par la Terreur et des collectivistes héritiers de la révolution. L'autrice imagine la rencontre fortuite d'un député de gauche et d'une noble veuve suite à un accident de la route. Une histoire d'amour toute en pudeur se développe entre deux êtres que tout semble opposer, alors que leurs convictions elles-mêmes se mettent à converger. Quatre ans avant la déclaration de la deuxième guerre mondiale, ils rêvent des mêmes solutions pour faire durer la paix en Europe, menacée à la fois par des conflits politiques intérieurs et par les ambitions territoriales de voisins agités. Le propos est parfois naïf mais on apprend beaucoup sur l'état d'esprit des factions du moment, sur fond de glissement d'une crise économique vers une crise diplomatique, puis vers la guerre.


Référence : lu dans l'édition originale de 1935 (Bernard Grasset)



Apeirogon, mosaïque


Deux pères meurtris par les meurtres de leurs filles respectives, deux peuples, deux cultures, deux religions, une frontière. L'apeirogon est une figure géométrique symbolisant la complexité de ces dimensions et de leurs combinaisons, expliquant la durée d'un conflit qui pourtant, selon les héros de l'histoire contée dans ce livre, pourrait laisser place à une longue paix. Leur solution est dite "à deux états", mais n'est-ce pas une cartographie artificielle de plus ?


Référence : lu dans l'édition de 2020 (10I18)



Bel abîme, troublant


Il est difficile, voire impossible de trouver un roman optimiste signé par un tunisien contemporain. Néanmoins, Bel abîme séduit par sa beauté. Et la beauté est génératrice d’émotions positives. Construite avec brio, l’histoire prend le lecteur aux tripes et ne le lâche jamais. En peu de pages, un tableau complet du Tunis d’aujourd’hui est peint, en partant de la banlieue sud de la capitale où on découvre une forêt, improbable sous ces latitudes, et une société qui cherche l’espoir. Malgré les revers, brimades et violences subies, le héros trouve des voies de progrès, des sources d’énergie propres à l’élever à ses yeux comme à ceux de ses semblables, jusqu’au dénouement. Entretemps, il fait la morale à son père : « Je n’ai jamais reproché à mon père d’être un pauvre fils de pauvre, mais je lui en veux d’être un pauvre de coeur, de ne pas avoir compris où était la vraie richesse. Être bon pour sa famille est plus important que la façade qu’on construit pour les autres et pour laquelle son propre sang subit la négligence, le désamour et la rancune ». Pères et fils ne sont pas à la fête.


Référence : lu dans l'édition de septembre 2021 (Elyzad)



Paradis, géographique


Ce livre semble écrit pour faire découvrir un coin de notre terre, la Tanzanie au début du vingtième siècle. Les enfants, filles et garçons, y sont vendus comme esclaves pour rembourser les dettes de leurs parents. Les maîtres sont plus ou moins bienveillants en fonction de la santé de leurs affaires. Les colons allemands et anglais se disputent les ressources du pays et font émerger de nouvelles légendes centrées sur leurs pouvoirs, inédits dans la région. Les yeux d’un jeune héros nous font vivre ses terreurs et ses espoirs.


Référence : lu dans l'édition de 2021 (Denoël)



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Le mage du Kremlin, dans la peau d'un Raspoutine moderne

Best sellers, une comparaison osée

La compromission, énervée

Sidérations, inspiré

Égalité, oublié

Apeirogon, mosaïque

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Paradis, géographique






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