Dans l'édition de poche, l'Idiot de Dostoïevski occupe un peu plus de mille pages. Ce roman accompagne donc la vie de ses lecteurs pendant longtemps, surtout si leurs obligations professionnelles ou familiales les accaparent et qu'ils ne consacrent à la lecture que quelques minutes par jour, le soir avant de s'endormir ou, pour certains, de bon matin avant toute chose, afin de commencer leur journée par une exposition à la beauté. Car un classique est d'abord une affaire d'esthétique, sauf peut-être en philosophie. En littérature, le texte doit être beau, doit déclencher une émotion qui va au delà de la sensibilité à la trame et au message. La langue doit être maîtrisée, l'art doit imprégner chaque phrase du début jusqu'à la fin, sans faiblir, sans fausse note. L'histoire elle-même doit participer à l'harmonie générale, épousant rythme, tons et sens pour paraître spontanée aux yeux du lecteur, comme si elle était vécue devant lui, ou plutôt avec lui, l'intégrant dans le jeu des personnages.
A la fin du livre (toujours dans l'édition du Livre de Poche, Édition 18, novembre 2020), il ne faut pas rater les commentaires de Louis Martinez. Après mille pages le lecteur est transformé, il a mené deux vies parallèles et essentielles l'une à l'autre pendant plusieurs semaines, parfois plusieurs mois, et ne veut pas en rester là. Cette expérience fait partie de sa propre histoire pour toujours, s'imprimant à l'encre indélébile sur des zones profondes de sa conscience. Il ne veut pas faire mourir son double au risque de mourir tout court, tué par l'ablation d'un organe devenu indispensable. Ces commentaires font revivre des moments forts, perpétuent le sentiment d'intimité avec l'auteur, dévoilent des trésors cachés et éclairent l'oeuvre et son contexte à travers le recensement chronologique de ses critiques. Ils sont écrits dans une langue si maîtrisée qu'ils méritent amplement leur place aux côtés du texte de Fédor.
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